vendredi 28 novembre 2014

Le printemps africain en question

Après que les tunisiens aient ouvert le champ du possible et chassé pacifiquement leur président Ben Ali des plus hautes fonctions de l'Etat, après le refus des Sénégalais, massés devant l'assemblée nationale pour empêcher le ticket présidentiel proposé par le président Abdoulaye Wade et son fils, "ministre du ciel et de la terre", de passer, après la démission contrainte de Moubarak qui n'a pas échappé à la justice de son pays debout ou malade et lunettes de soleil sur civière, après le départ forcé d'un Blaise Compaoré qui a toujours pourtant reçu les onctions de la communauté internationale... Au Burkina Faso, les évènements qui se sont déroulés au pays des Hommes Intègres étaient certainement difficiles à imaginer par les forces civiles qui ont occupé la rue et sont parvenues, en deux jours, à faire vaciller 27 ans de pouvoirs concentrés au creux des mains d'un seul homme.
Bien des exemples peuvent témoigner aujourd'hui d'un renforcement des convictions et de la conscientisation des peuples à décider pour eux-mêmes, introduisant ici un premier jet "d'auto-détermination". Une auto-détermination encore fragile, car impossible ici de se réjouir des suites données selon le terrain, tant les terres concernées ont été percutées de plein fouet par ce qui menaçait depuis plus d'une dizaine d'années déjà, l'extrémiste intégriste AQMI qui rodait, et qui n'a été, malgré la folie des grands dictateurs qu'ait connu l'histoire africaine, jamais aussi libre.

A ce jour, ce que les Occidentaux ont aussi consenti à nommer Etat Islamique (ou Daesh, qui n'est que la traduction littérale arabe des mêmes mots) n'a rien d'un Etat avec des frontières et un gouvernement, et rien de ce que en 2014 l'Islam a su être de plus unanimement partagé sous des sphères modernes mais aussi traditionnelles, EI reste un groupe extrémiste intégriste composé des ramifications les plus hostiles du terrorisme d'aujourd'hui qui sous couvert d'une religion excuse toutes les absurdités qu'il sait héberger. Est-ce le fameux "axe du mal" avant l'heure créé de la bouche de Bush, qui a été détourné dans une Amérique qui avait destiné les musulmans/arabes à payer tout un chacun le nine-eleven, est-ce alors le retour de bâton d'une politique assassine menée par les USA qui n'est plus qu'un pays en guerre sans même attendre d'être forcément attaqué.

Difficile donc selon chaque situation, d'être assuré de la non ingérence des forces étrangères tant les médias alternatifs savent nous éclairer sur les aspects realpolitik qui ont mené certaines déstabilisations, les motivations ne seraient pour certains, tels que Michel Collon, que peu claires quand il s'agit de faire état des irrégularités qui ont articulé le processus d'intervention par exemple en Libye, arguant qu'aucune autorité n'a su prouver le bombardement du Guide Libyen sur les populations, argument principal avancé pour enclencher un process d'intervention. L'instauration du couloir humanitaire également largement détourné bien au delà de la Résolution votée n'a su trouver sa place et a pourtant été décisif sur les évènements qui ont suivi. Neuf mois après, les forces de l'Otan parviendront à cibler le guide physiquement et bombardent au millimètre, Obama l'avait dit, M.Kadhafi doit partir... Si aujourd'hui à chaque fois qu'un chef d'Etat fort décide d'en dévisser un autre alors il ne reste plus qu'à rayer du dictionnaire et de l'usage de la langue française, les mots souveraineté, démocratie, auto-détermination, transparence et indépendance.

Car si on ne laisse pas les peuples parvenir à suffisamment de maturité pour qu'ils fassent tomber les têtes selon leur temps et leurs consciences, alors c'est toute la suite de création de démocratie qui leur est également confisquée. Aisé de constater que partout où les forces étrangères se sont imposées par les armes à faire basculer des gouvernements sous prétexte de détenir le monopole breveté de la Démocratie, il n'y a que terres asséchées et misérables. On ne civilise pas avec les canons, toujours pas, et si BHL peut aujourd'hui dire que la Libye n'a jamais été aussi démocratique, il ne faut pas plus, pour, sans toujours chercher la théorie du complot, admettre que des actes posés par des étrangers en terre inconnue sont douteux et peu honorables.
Ces faits douloureux sont venus décapiter des élans populaires qui auraient du être libres de leurs exigences, car le plus dur reste à venir, et personne ne peut hypothéquer l'avenir choisi de chacun à sa place, certains pays comme la Tunisie ou l'Egypte, si ils n'avaient pas porté leurs révolutions ne pourraient aujourd'hui gérer leur situation somme ils tentent de le faire dans une suite déjà hostile.
Le drapeau l'Al Quaida flottait alors sur le tribunal de Benghazi dès la chute du guide, en Tunisie, les troubles post-Ben Ali issus d'un refus de mélanger politique et religion mirent en scène Ansar Al Charia qui répliquait œil pour œil. L'Egypte elle, luttera contre les Frères Musulmans, rassemblée, tenace et engagée.

Les grands Etats gendarmes du Monde ont fait montre d'une naïveté déconcertante quant aux conséquences qui ont suivi la déstabilisation de la Libye, quand les forces Atlantiques allaient durcir les relations internes et diviser, plaçant la Chine et la Russie en marge, ces deux Etats choqués du sort du Guide, des armes parachutées par l'OTAN en plein Sahara, la dislocation du modèle politique sans anticipations, et la prise de pouvoir de groupes armés descendus sans attendre exporter les troubles jusqu'au MALI. C'est bien l'Afrique qui encore une fois allait subir des évènements qui la dépassaient.


L'Afrique est en pleine mutation, elle dispose d'une population très jeune et ce cycle démographique a encouragé une certaine prise de conscience assez naturellement, la dernière génération plus au fait de ce qu'elle réclame, a plus accès à internet et aux réseaux sociaux qu'à l'eau potable, a vu ses Pères se raconter les illusions déchues des parleurs et tenants du pouvoir, et acte sur ce que auparavant on n'osait remettre en question. Le paradoxe résidera en cela que les grands hommes d'hier assassinés sont des hommes qui avaient une vision extraordinairement moderne, juste et indépendante, tels que Thomas Sankara ou Richard Ratsimandrava pour ne citer que ceux-là.
Le discours de Sankara restera une référence ancienne et actuelle, pertinente et troublante de vérité politique.




A l'aube des décolonisations jusqu'à ce jour souvent nous n'avons pas vu sur le continent d'Ebène, plus de deux présidents venus se succéder au pouvoir, extension de mandats, modifications de constitutions, élections au forceps sous réanimation étaient les moyens utilisés pour faire plier les astres et les éterniser. L'image présidentielle est aussi ce qui a pu permettre cela, il est de tradition en Afrique souvent de considérer les Présidents somme des Pères, on ne change pas de Père, on ne démet pas un Père, on vit avec lui, on grandit avec lui, ainsi il existe plusieurs générations qui ont vu le jour sous le même "mandat", comment donc de cette manière, se rendre compte de l'enjeu de la transition politique, de l'alternance, de l'exercice des droits et devoirs citoyens?
Les conditions de vie aujourd'hui extrêmement précaires, la non redistribution des richesses vers le peuple par les gouvernances, et le manque cruel de développement de terres riches en leur sol viennent cumuler des frustrations et des colères qu'aucun sachet contenant T-shirt-casquette-pagne et petit billet à l'effigie des présidents chéris ne saura plus taire.
Aujourd'hui l'Afrique entend plus que jamais, est alerte sur les évènements qui se déroulent dans le monde, cela peu importe les couches sociales, du chauffeur de taxi au pêcheur désenchanté dévasté par les pêches intensives, à la femme chargée de l'entretien du domicile, en passant par celui qui vent le café Nescafé debout toute la journée durant en sillonnant entre les voitures des embouteillages de Dakar ou de Douala, tous et toutes savent à la sueur de leurs fronts, que leurs efforts pour pouvoir vivre au jour le jour et ne pas avoir de marge de sécurité ne vaut rien.

Cela ne vaut rien, jusqu'à ce que l'éveil citoyen ne reprenne le dessus.

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